Les troubadours ont abordé tous les thèmes pouvant s’exprimer et se verbaliser dans la poésie. Leur poésie n’est pas à proprement parler du « lyrisme », car elle ne met pas à nu le cœur et les sentiments du narrateur : au moyen de lieux communs et de conventions poétiques, elle applique les règles d’un code poétique.
Le premier de ces thèmes est, bien entendu, l’amour, ou pour mieux dire la fin’amor, l’amour courtois, selon l’expression forgée par Gaston Paris à la fin du XIXe siècle. Il s’agit en réalité d’une évocation de tous les codes sociaux pouvant régir les relations entre homme et femme, dès lors qu’une relation sentimentale, ou simplement liée au désir, existe. Ce thème est central dans la poésie troubadouresque : les poètes occitans du Moyen Âge ont développé à l’infini cette approche de l’amour, dont d’aucuns voient la perpétuation d’une tradition issue de la poésie arabe. Le genre majeur dans lequel s’épanouit la fin’amor est bien entendu la cançon, mais pas seulement. De l’amour accompli dans l’alba (aube) à l’amour décrié, disserté, perdu, fantasmé, imaginé, toutes les déclinaisons existent sous des formes infiniment variables.
C’est avec Guillaume IX d’Aquitaine que se développe, dans le premier tiers du XIIe siècle, le thème de la dame comme seul but et finalité de l’amant, lequel doit lui être soumis, à l’affût de sa volonté et d’une fidélité inébranlable. L’idée même que l’amour soit en quelque sorte aiguisé, affûté par le fait que la dame puisse se montrer cruelle, se refuser à son amant, se retrouve dans la tradition persane, notamment chez le juriste et poète Ibn Daoud (IXe siècle). Dans le domaine occitan, cela s’appelle l’assag, l’essai, c’est-à-dire la mise à l’épreuve par la dame de la fidélité et de l’obstination amoureuse du prétendant. Guillaume IX, mais aussi le grand jongleur gascon Cercamon, ont longuement développé ce concept.
L’amour peut prendre, chez les troubadours, une infinité de formes. Dans l’alba, l’amour est accompli, en actes, et c’est sa nature même, dangereuse puisqu’adultère et bravant les interdits sociétaux, qui forme l’argument de l’œuvre. Les amants y sont en effet peints – dans le schéma le plus courant de ce type d’œuvres – dans le courant de leur plaisir amoureux.
En général, l’action se situe dans le jardin même du château du mari jaloux de la dame, lequel mari s’étant absenté, la gaita, la sentinelle, se charge de surveiller son retour, afin d'en avertir les deux amants. La scène est un tableau nocturne, le retour de l’aube représentant le retour des codes sociaux, et donc la fin de la fin’amor. Les troubadours mettent l’amour véritable, éprouvé mutuellement par deux êtres, au-dessus de tous les codes sociaux, y compris les sacrements de l’Église comme le mariage, puisque celui-ci peut être forcé, politique, stratégique, dont contraire à la courtoisie. L’alba présente donc l’amour en actes, et nous donne à voir la fin’amor poussant sa logique jusqu’au bout : rien, en effet, ne dit qu’elle doive rester platonique, bien au contraire. Le Castia-Gilós du Catalan Raimon Vidal de Besalú est une autre mise en actions des règles de l’amour courtois.
Certaines cançons, comme Can vei la lauzeta mover de Bernat de Ventadorn (vers 1125-1195), sans évoquer clairement la chose, nous présentent une allégorie du mécanisme amoureux, de son début à sa fin.
Dans la pastorela, autre genre popularisant, la scène de séduction qui est représentée nous donne à voir une représentation du désir, parfois de l’assouvissement de celui-ci, parfois de la frustration.
L’amour peut aussi être moqué, critiqué, décrié : en effet, la lyrique troubadouresque se développe sur des règles établies, se moquer de ce que l’on a vénéré devient donc un exercice de style des plus conventionnels, toujours dans ce contexte convenu qui encadre et caractérise la poésie des troubadours. Nous touchons ici la notion de contre-texte, mise en évidence notamment dans l’œuvre de Guillaume IX d’Aquitaine, c’est-à-dire une sorte d’antithèse de la courtoisie, d’œuvre appliquant délibérément l’exact opposé des règles de la fin’amor. Cette dualité est au cœur de l’œuvre du duc d’Aquitaine. Peire Cardenal, originaire du Velay (vers 1180-1278) a laissé plusieurs sirventès raillant l’amour, dont les célèbres Ar me puesc ieu lauzar d’Amor et Ben teinh per fol e per muzart.
Citons enfin un dernier aspect du thème : la mise en situation du désir, et de l’acte sexuel, parfois de façon très crue et réaliste. Ainsi, le jongleur connu sous le nom de Montan, qui vécut au XIIIe siècle, nous a laissé la très explicite pièce Eu venh vas vos, sénher, fauda levada.
Bien que l’amour ait été un des sujets centraux de la lyrique troubadouresque, bien d’autres thématiques y apparaissent toutefois.
Dans la sirventès, un des genres les plus élevés et les plus emblématiques de l’art des troubadours, la finalité est de moraliser, de satiriser, parfois d’attaquer. Les sujets sont innombrables, en général les fléaux, mœurs et vices de la société, mais aussi des attaques ad hominem ou contre des institutions. Comment ne pas penser à la terrible et saisissante Roma trichairitz du Toulousain Guilhèm Figueira, écrite vers 1230 à la cour de l’empereur Frédéric II ? Cette diatribe contre une papauté qui, non contente d’avoir échoué à reprendre Jérusalem lors de la Ve Croisade, a mis à sac Béziers et dévasté le Languedoc est une des œuvres les plus ardentes de la littérature médiévale.
Le Périgourdin Bertrand de Born (vers 1140-1215) et Peire Cardenal furent les deux plus grands maîtres du genre. Cardenal est connu pour ses attaques contre le clergé de son temps : les Jacobins, les ordres mendiants tan son cobeitos, les prêtres luxurieux, cupides et menteurs... Mais sa verve se porte aussi contre la cour des Plantagenêt, les Français ivrognes, contre un nommé Estève, qui fut une de ses cibles privilégiées, contre les menteurs et les faux-gentilshommes parjures, un évêque acquis à la cause du roi de France, les femmes indélicates ou infidèles, les bavards qui parlent à tort et à travers, les imbéciles qui pullulent, les perfides, les magistrats et les barons corrompus, les filles de joie, les voleurs, et même Dieu (Ben volgra, si far si pogués)… Bertrand de Born, pour sa part, aborda les mêmes thématiques, mais ses attaques sont souvent ad hominem. La noblesse périgourdine et plus généralement occitane n’est guère épargnée (Pois Ventedorns e Comborns ab Segur) pas davantage que le roi de France ou le duc d’Aquitaine. Mais il a surtout grandement chanté les vertus guerrières, le plaisir des armes, et célébré l’acte de croisade, donnant à son œuvre une dimension politique particulièrement sensible.
Dans la pièce, parfois attribuée à Jaufre Rudel (vers 1113-1170) Qui non sap esser chantaire, ce sont les musiciens incompétents qui, à défaut de chanter, doivent se contenter de laire, d’aboyer.
Pierre de Vic, alias Lo Monge de Montaudon (vers 1143-1210), dans une célèbre tençon, nous détaille toutes les choses qui lui déplaisent, l’ennuient (Be m’enueja de…), ce qui lui permet de se livrer à de sanglantes critiques contre les femmes fardées, les gens mal élevés, et autres fâcheux de ce monde. Il n’hésite d’ailleurs pas, au hasard d’une tençon, à monter au Paradis pour discuter de tout cela avec Dieu Lui-même (L’autrier fui en Paradis).
La pièce Una ciutats fo, no sai cals, de Pèire Cardenal n’est pas tant atypique par son contenu (une satire de l’humanité en général) que par sa forme : une parabole, dont la clé est donnée à la fin.
Citons les hagiographies et œuvres à caractère religieux. Outre les albas mariales, déjà évoquées, dans lesquelles la figure de la Vierge remplace celle de la dame, et la nuit prend des airs effrayants de ténèbres dans lesquels le pécheur se perd, citons les pièces exaltant la figure mariale, si présente dans la piété médiévale, comme Vera vergena, Maria, de Pèire Cardenal, ou la Vraie Croix, quête mystique des Croisés, comme dans Dels quatre caps que a la cros, du même auteur.
Les troubadours ont également composé des œuvres échappant à toute classification : célébration de la terre natale (Ai Lemozis, francha terra cortesa de Bertrand de Born), mais aussi le rien… Farai un vers de dreyt nien de Guillaume IX se propose comme une œuvre sur le néant, une création gratuite, dans laquelle poncifs et lieux communs ne sont pas mis au service d’une thématique ordinaire, mais d’une forme de nonsense qui la transcende et lui fait atteindre une autre dimension poétique.
Il faut également citer parmi les thématiques le genre épique, pouvant mettre en scène un évènement historique et politique, comme la Cançon de la Crosada, oeuvre de deux auteurs, le premier anonyme et partisan de la croisade albigeoise, le second connu et identifié comme étant le Navarrais Guillaume de Tudèle, adversaire convaincu de la croisade. Cette œuvre de 9500 vers raconte les évènements survenus entre 1209 et 1218 dans le Languedoc, que les barons de France assiégèrent et dévastèrent. Citons également le Siège de Damiette, oeuvre anonyme racontant un épisode de la Ve croisade.
Le cas du planh, complainte sur la mort d’un personnage, illustre ou pas, a déjà été évoqué. Il est généralement prétexte à un éloge extrêmement codifié du défunt, avec la description de ses vertus et l’évocation de la perte irréparable qu’entraîne sa mort. Parfois, l’éloge n’attend pas la mort du personnage pour être prononcée : l’on pensera ainsi à Ben volgra, si Dieus o volgués, de Pèire Cardenal, en l’honneur du comte de Toulouse Raymond VII.